Pour le directeur du Timbuktu Institute,
si les solutions militaires sont un mal nécessaire pour endiguer la menace
grandissante du terrorisme islamiste, il faut avant tout prévenir la
radicalisation par l'éducation et par la justice sociale.
Un éminent leader religieux du Sahel me
confiait qu’il fallait chercher les causes de la radicalisation dans la
combinaison entre « l’arrogance des injustes et l’ignorance de ceux qui se
sentent victimes ». De fait, la communauté internationale a quarante ans
de retard par rapport aux réseaux qu’elle combat : lors des sécheresses des années 1970, ni l’Europe ni les États-Unis, rudement frappés par la crise pétrolière, ne pouvaient nous aider. Ceux qui le pouvaient exportaient du pétrole,
des pétrodollars et… des idéologies.
Puis la communauté internationale
imposa, dans les années 1990, des politiques d’ajustement structurel à des pays sommés
d’emprunter le chemin du libéralisme en investissant le moins
possible dans l’éducation, la santé et le social. Tandis que les exportateurs
d’idéologies construisaient au Sahel des médersas et y implantaient des ONG
« islamiques » – lesquelles ont remplacé l’État et délégitimé les
nouveaux missionnaires de la démocratie.
Une conception strictement sécuritaire
Début février, Dakar a accueilli le
Partenariat mondial pour l’éducation. Mais j’aurais voulu rappeler à Macky Sall
et à Emmanuel Macron que de nombreux pays du Sahel souffrent encore d’une
dualité, voire d’un éclatement du système éducatif, avec d’un côté l’école
« officielle » francophone et, de l’autre, une multitude
d’établissements coraniques. Les États sahéliens ne saisissent pas les enjeux
d’une telle dynamique et n’ont jamais intégré ce choc des modèles religieux et
citoyens par le biais de l’éducation dans le cadre global d’une politique de
sécurité.
Le terrorisme a surgi au milieu de cet
espace après avoir été vu, pendant longtemps, comme un phénomène lointain, et
son caractère imprévisible n’a pas laissé de place à des stratégies en amont.
Il a imposé une approche réactive. Confrontés à l’urgence, les pays du Sahel et
leurs partenaires internationaux n’ont pu répondre que de façon sécuritaire,
notamment avec l’opération Serval, dont il faut bien reconnaître qu’elle a
stoppé les jihadistes sur la route de Bamako. Mais en a découlé une conception
strictement sécuritaire d’un phénomène nécessitant une approche holistique.
Les bavures et ratés des opérations
militaires occidentales, un terreau idéal pour le terrorisme
L’échec des solutions uniquement
militaires est une réalité irréfutable. Il ne fallait pas s’attendre à voir des
kalachnikovs défaire une idéologie. Les Américains sont restés plus de quinze
ans en Afghanistan, et les Talibans y sont encore. Serval a vécu, remplacée par Barkhane, qui est
incapable d’en finir avec les terroristes dans le nord du Mali. Les groupes
armés y prospèrent, et leur champ d’action s’est élargi vers le centre du pays
avec le Front de libération du Macina, débordant jusqu’au Burkina Faso.
Les solutions militaires sont certes un
mal nécessaire pour endiguer la menace grandissante, mais elles ne sont ni
efficaces ni durables. Elles ont même inspiré les jihadistes ! Plus besoin de stratégies globales et de coordinations risquées : il suffit
de créer des zones
d’instabilité et de mettre une couverture « islamique » sur toutes sortes de conflits pour susciter l’intervention occidentale qui, avec ses
bavures et ses ratés, nourrira
frustrations et révoltes – un terreau idéal pour recruter de
nouveaux combattants.
Solutions concertées
Nous sommes devenus une vraie communauté
internationale : pays riches ou pays pauvres, d’Afrique ou d’Europe, nous avons la vulnérabilité en partage. Gao, Maiduguri ou Tazalit sont aussi exposées que Paris,
Bruxelles ou Miami. Ce qui se passe sous nos tropiques concerne aussi les
puissants membres du Conseil de sécurité, et il est urgent de trouver des
solutions concertées. Or il y a un hiatus entre les approches globales,
préconisées par nos partenaires internationaux, et les perceptions locales. Il
est temps de donner leur dignité de « solutions » aux possibilités
endogènes. Il y a cinq ans, je disais à des responsables de la Commission
européenne que dans certains de nos villages l’achat d’un vieux modèle de char
coûtait plus cher que la construction d’une école.
Deux choix s’offrent à nous avec la
chance de pouvoir les coupler : prévenir aujourd’hui par l’éducation et la justice sociale ou se préparer, militairement, à intervenir indéfiniment et continuellement, demain,
sans gage de réussite et
avec le risque de reproduire les causes du mal que l’on cherche à combattre.
Par Bakary Sambe
Directeur du Timbuktu Institute
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