Quand
comprendrons-nous, nous Européens, que nous sommes seuls ? Quand en
tirerons-nous de justes conclusions ?
Ce qui se joue en Allemagne et en Italie aujourd’hui
conduit à rechercher d’urgence des réponses à ces questions vitales.
Depuis les années vingt, les Européens se sont
habitués progressivement à l’idée que, même s’ils faisaient mille bêtises, il y
aurait toujours quelqu’un pour les sauver de leurs propres turpitudes. Et les
Etats-Unis se sont progressivement installés dans cette situation de deus ex
machina. Et de fait, ils nous ont sauvé (avec Staline) des monstres nazis avec
leurs armées ; de notre sclérose économique avec le plan Marshall ;
de la menace soviétique avec leurs missiles nucléaires.
Longtemps, les Européens ne voulurent pas voir que ce
soutien n’était pas altruiste : l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1940
a été le vrai moteur de leur sortie de la crise de 1929. Le plan Marshall leur
a permis d’écouler en masse leurs matériels et marchandises. Et la
protection nucléaire face à l’Union Soviétique aidait à justifier les
ressources énormes consacrées à leur complexe militaro industriel.
Plus encore, ce soutien est toujours resté sous
contrôle et soigneusement limité : les Américains faisaient tout pour que
leurs Alliés continuent d’avoir besoin d’eux. Pas question pour les
Européens d’être indépendants militairement, financièrement, culturellement,
industriellement, technologiquement. Pas une industrie stratégique dont les
Etats-Unis ne cherche à en conserver le contrôle ou à en priver les Européens.
Pas un domaine du droit sans que les Américains ne cherchent à en fixer les
règles. Pas un domaine de l’innovation sans que les Américains n’en
tirent les ficelles.
Les Européens sont longtemps restés aveugles, face à
ce cynisme faussement altruiste. En vassaux dociles, ils n’ont rien fait pour
créer les conditions de leur autonomie, (sauf, partiellement, en matière
monétaire). Ils l’ont même approuvé, jouissant pour la plupart
honteusement de leur servitude.
Aujourd’hui, tout semble changer. Les Européens ne
peuvent plus ne pas voir qu’ils sont seuls ; que les Américains ne sont
plus là pour les défendre ; que le Président américain prend ses décisions
sans tenir compte ni des points de vue, ni des intérêts de leurs alliés.
Et ce n’est pas propre à Donald Trump. Bien avant,
depuis au moins George W. Bush, les Américains n’en font qu’à leur tête. Obama
l’avait même théorisé en formulant le concept stupéfiant de « direction
depuis l’arrière » : il fallait son charme pour que nul ne relève la
lâcheté d’une telle formule.
Obéir aux Américains quand c’est conforme à notre
stratégie est une chose. Se soumettre à leurs diktats quand c’est contraire à
nos intérêts en est une autre.
Les Européens n’ont cependant pas encore tiré les
conclusions de leur solitude. Ils n’ont pas encore réalisé que, s’ils sont
soumis à une attaque quelconque, terroriste ou stratégique, il n’est plus du
tout certain que Washington enverra ses soldats, ou risquera de recevoir une
bombe sur son territoire. Je suis même, pour ma part, persuadé que le contraire
est, à moyen terme, certain : si l’Europe est attaquée, aucun Américain ne
viendra plus mourir pour nous sauver.
Séparés, les pays européens ne pourront rien contre ce
qui les menace et les populistes sont aussi suicidaires que les atlantistes
béats.
Il serait donc criminel (et je pèse mes mots) pour les
dirigeants européens de ne pas s’y préparer ensemble. De ne pas tout faire pour
que leurs armées n’aient plus besoin de technologies américaines pour
fonctionner ; de créer les conditions d’une défense commune à leurs
frontières terrestres et maritimes. De disposer de moyens d’informations
indépendants des satellites et des câbles sous-marins américains.
Le fédéralisme européen, que seul propose le président
français n’est plus une option parmi d’autre. Il est en train de devenir la
condition nécessaire de la survie des cultures de notre continent.
Par Jacques Attali LinkedIn
Influencer et Publié le 14 mai 2018
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