La traite négrière est triple
: l’occidentale (la plus dénoncée), l’intra-africaine (la plus tue) et
l’orientale (la plus taboue).
On y dénombre plus de 40 millions
d’esclaves. La plus longue, la plus constante aussi, est l’orientale. A-t-on le
droit de le dire ? A-t-on la liberté de l’écrire sans se faire taxer de
néocolonialiste ?
Que les révolutionnaires de
canapé soient rassurés ! Je ne recycle pas les clichés de Saint-Arnaud. Je ne
repasse pas les chemises de Cavaignac ou les culottes de Bugeaud. Je ne suis
pas atteint du syndrome du colonisé. Je ne suis pas non plus rongé par la haine
de soi ou je ne sais par quel autre complexe.
Entre le Moyen Âge et le XXe
siècle, les Arabes et les Ottomans ont vendu plus de 17 millions
d’esclaves africains. C’est un fait. Ils approvisionnaient en zengis aussi bien
les foyers des familles influentes arabes et turques, les palais, les souks,
les fermes, les champs et les harems que les terres sous contrôle musulman à
l’époque, comme la Péninsule Ibérique, l’Andalousie, la Sicile, les Balkans.
Les images, que les
journalistes de CNN ont captées non loin de Tripoli, ont ému le monde
entier. Au-delà des larmes versées en silence et la rage nouant nos tripes,
elles nous renvoient à la face nos laideurs, nos bas instincts, nos plaies et
nos guenilles. Le progrès a-t-il perdu en chemin la générosité et la justice ?
La modernité n’a pas tué, hélas, les réflexes barbares en nous. L’être humain
reste un animal tribal et froid : il a beau voter des lois, brandir le droit,
revendiquer la démocratie et chanter la fraternité, l’ivresse de la domination,
le mépris de l’autre et la préférence de soi ne l’ont guère quitté.
On ne veut pas fâcher les
seigneurs africains et leurs clients
Les trafiquants vendant aux
enchères des migrants africains rappellent, toute proportion gardée, ceux des
cales de l’Île de Gorée, des comptoirs de Charleston et des marchés de
Zanzibar. Le trafic des Noirs rapporte. Environ 400 euros la tête en 2017.
Moins cher qu’un mouton de l’aïd. Mais peu importe. On mise sur la quantité.
Les prisons libyennes sont pleines de chair noire, de bras noirs, de sueur noire,
de sang noir, de torture noire, de douleur noire.
En Mauritanie, l’esclavage
officiellement aboli en 1981, est toujours pratiqué. 300 000 à 700 000
individus ont des maîtres. On n’en parle pas. C’est tabou. On ne veut pas
fâcher les seigneurs africains et leurs clients. Et si on faisait une enquête
sérieuse sur le commerce des êtres humains au Congo, en Somalie, au Soudan, au
Burundi, au Liberia, en Arabie saoudite ?
Le Qatar n’a supprimé la kafala,
système ségrégationniste envers les étrangers, qu’en 2016. Avant, tout
travailleur étranger avait un parrain et, pour quitter le pays ou changer de
métier, celui-là devait en obtenir l’autorisation de celui-ci. Et quelle est la
situation des migrants africains en Algérie ? C’est encore plus tabou. La négrophobie
est revendiquée sans complexe par une partie de l’opinion publique.
Une directive de la wilaya de
Mostaganem, avant d’être suspendue sous la pression des réseaux
sociaux, recommandait aux taxis et aux chauffeurs de bus de ne pas transporter
les Subsahariens. Ne qualifie-t-on pas en Algérie, de manière avilissante, le
Noir de kehlouch, l’équivalent de « nègre » en langue dialectale ? Ne
raconte-t-on pas dans les cafés cette blague aux relents racistes : « Un
Algérien, devant un Noir, commande un café. Il dit au serveur : Je veux un café
noir. L’Africain, se sentant visé, lui réplique gentiment : Pourquoi ajouter
l’adjectif « noir », puisque le café est déjà de couleur noire ? L’autre lui
tourne le dos et reformule sa demande : Je veux un café plus que noir, je veux
un café négro. » ?
Par Karim Akouche
Karim Akouche est un écrivain algérien, auteur du roman La Religion de ma mère (éd. Écriture)
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